Immigration : les surprenants rebondissements du 9 février 2014

20.11.2017 , in ((Politics)) , ((No Comments))

Après avoir envisagé une mise en œuvre rigoureuse de l’article constitutionnel « contre l’immigration de masse » (quotas annuels d’immigration par branches ou région) puis une version beaucoup plus souple (plafonnement unilatéral uniquement en cas de forte immigration), le Conseil fédéral a passé la main au parlement qui, en décembre 2016, a pris la liberté de ne pas appliquer la Constitution.

Le Conseil fédéral envisage en contrepartie une mesure destinée à faciliter l’insertion sur le marché du travail des chômeur·euse·s résidant·e·s, l’espoir étant qu’elle diminue l’appétit des entreprises pour l’immigration.

Après l’émoi presque hystérique de l’après 9 février, la montagne accouche d’une souris. Le projet de loi d’application dont la procédure de consultation vient de s’achever n’est en effet qu’une mesure de marché du travail : l’obligation pour les entreprises d’informer les Office régionaux de placement des postes vacants dans les catégories professionnelles affichant un taux de chômage supérieur à 5 %. Dûment averties, les personnes résidentes en recherche d’emploi – suisses et étrangères – auront ensuite 5 jours pour postuler avant que l’employeur ou l’employeuse ne soit autorisé·e à prospecter plus avant et, en particulier, à recruter au sein de l’Union européenne en vertu de la libre circulation. Les Office régionaux de placement pourront par ailleurs transmettre aux employeur·euse·s des dossiers de candidat·e·s avec l’obligation de les rencontrer, mais sans devoir justifier un éventuel non-engagement. Ainsi on ne pourra recruter un plâtrier (11,4 % de chômeur·euse·s), une maçonne (6,5 %) ou un spécialiste en relations publiques (12,5 %) dans l’Union européenne qu’après un délai de 5 jours et des entretiens avec des résident·e·s au chômage, tandis qu’on pourra embaucher un fleuriste (1,6 %) ou une fromagère (1,8 %) séance tenante jusqu’en Pologne ou au Portugal. En tout environ 218’000 postes vacants devraient être annoncés ainsi chaque année et soumis au délai d’embauche. Huitante-huit professions sur 383 seraient concernées.

Bien qu’administrativement complexe, cette mesure se borne donc à donner « une longueur d’avance » à la main-d’œuvre locale, mais ne plafonne en aucune manière l’immigration : la majorité des branches qui recrutent à l’étranger sont précisément celles où le taux de chômage est inférieur à 5 % et échappent donc à tout contrôle. Au niveau du marché du travail par contre, la mesure pourrait avoir un impact favorable, d’autant plus que les réfugié·e·s et les personnes admises à titre provisoire (permis F) accueilli·e·s en Suisse seront aussi habilité·e·s à postuler en priorité.

La solution trouvée par le parlement au casse-tête du 9 février pose de nombreuses questions. Elle risque d’engendrer des coûts administratifs substantiels pour les entreprises et pour l’administration. Son efficacité reste à démontrer. Mais c’est tout de même un coup de théâtre historique de voir une initiative contre l’immigration déboucher sur une loi potentiellement favorable aux personnes au chômage, aux réfugié·e·s et à l’intégration…

Etienne Piguet
Chef de project, nccr – on the move, Université de Neuchâtel

 

Blog issu de la Table ronde « Emploi et migration » organisée par la ville de Renens dans le cadre du programme cantonal d’intégration vaudois le 26 octobre 2017. À l’origine, ce billet a été mis en ligne le 27 octobre 2017 sur le blog « Politique migratoire » de l’Hebdo. 

Print Friendly, PDF & Email