L’exercice de l’activité de péripatéticienne ≠ une communauté conjugale ?

19.12.2016 , in ((Bonnes pratiques, Experiences, Politique)) , ((Pas de commentaires))
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Le Tribunal administratif fédéral a admis un recours déposé contre une décision de refus par l’ancien Office fédéral des migrations d’octroyer la naturalisation facilitée à une ressortissante française exerçant l’activité de péripatéticienne. L’ancien Office fédéral des migrations a qualifié d’incompatible l’exercice de cette profession avec l’obligation de fidélité inhérente à l’existence d’une communauté conjugale, condition pour l’octroi de la naturalisation facilitée.

Avant toute chose, rappelons que l’inégalité des sexes est une problématique qui a longtemps touché le processus de naturalisation en Suisse. A titre d’exemple nous pouvons mentionner le fait que jusqu’en 1985, les Suissesses par naturalisation ne pouvaient transmettre leur nationalité suisse à leurs enfants. Il a également fallu attendre la révision de la loi sur la nationalité de 1992 pour abroger la disposition prévoyant la perte de la nationalité des Suissesses qui épousaient des ressortissants étrangers.

Actuellement, la procédure de naturalisation facilitée, prévue à l’art. 27 de la loi sur la nationalité (entré en vigueur le 1er janvier 1992), permet à l’époux/épouse d’un·e ressortissant·e helvétique d’obtenir la nationalité suisse à l’issue d’une procédure simplifiée et à des conditions matérielles plus souples. L’intention du législateur était de favoriser l’unité de la nationalité.

Selon la loi sur la nationalité, la naturalisation facilitée est accordée à condition que le conjoint étranger ou la conjointe étrangère se soit intégré·e en Suisse, se conforme à la législation suisse et ne compromette pas la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse. A cela s’ajoutent des conditions prévoyant qu’une demande de naturalisation facilitée peut être déposée si le/la conjoint·e étranger·ère réside en Suisse depuis cinq ans en tout ou qu’il/elle y réside depuis une année et forme depuis trois ans une communauté conjugale avec un·e ressortissant·e suisse.

L’activité de prostitué est incompatible avec l’obligation de fidélité inhérente au mariage

En l’espèce, il s’agit d’une femme d’origine française, mariée depuis le 15 décembre 2000 à un ressortissant suisse, également père de leur enfant né le 10 avril 1997. Le 15 novembre 2011, celle-ci sollicite l’octroi de la naturalisation facilitée à l’Office Fédéral des migrations ODM (aujourd’hui le Secrétariat d’État aux migrations SEM). Le 14 août 2014, l’ODM rejette la requête de l’intéressée. Cette décision est motivée par le fait que l’exercice de l’activité de prostituée est incompatible avec l’obligation de fidélité inhérente au mariage et que la femme est aux poursuites. De plus, afin de démontrer que les époux ne forment pas « une communauté conjugale telle qu’exigée en matière de naturalisation facilitée », l‘ODM mentionne d’une part la différence d’âge de quinze ans entre les époux et, d’autre part, « le fait que le mari de la requérante tire également une partie de ses revenus de la prostitution ». Le 17 septembre 2014, l’intéressée fait recours contre cette décision auprès du tribunal administratif fédéral TAF invoquant notamment une violation de son droit constitutionnel au libre choix de la profession. Dans son jugement, le TAF constate que le « couple présente la stabilité requise malgré la profession qu’elle (la recourante) exerce » et annule la décision de l’ODM (Arrêt du TAF F-5326/2014 du 23 novembre 2016).

« De toit, de table et de lit »

Les diverses révisions de la loi sur la nationalité tendent vers une meilleure égalité homme femme. Cependant, à l’instar de la décision de l’ODM, nous constatons que la position de la femme – essentiellement dans le couple – fait encore trop souvent l’objet d’un jugement moral. A notre sens, il est difficilement concevable que la profession exercée par la recourante puisse être un obstacle à la reconnaissance d’une communauté conjugale.

L’origine du problème réside dans la conception, quelque peu archaïque, du mariage en droit suisse. En effet, seule la communauté de vie étroite (« de toit, de table et de lit »), au sein de laquelle les conjoint·e·s sont prêts à s’assurer mutuellement fidélité et assistance, est jugée digne de protection selon une jurisprudence constante du TAF. En outre, selon la jurisprudence de cette même instance, une union peut être considérée comme moins stable si le/la conjoint·e étranger·ère s’adonne à la prostitution après le mariage (TAF C-934/2010, 13.12.2010). En résumé, la preuve de l’existence d’une vie conjugale se réfère non seulement à l’existence formelle d’un mariage, mais également à une communauté de fait entre les époux. Dans le cas qui nous intéresse, le couple forme une communauté conjugale étroite et stable depuis plus de 15 ans. Les deux époux ont par ailleurs confirmé à plusieurs reprises leur volonté de vivre ensemble.

Toutefois, nous remarquons que le TAF ne revient en aucun cas sur le fait que lorsqu’un époux ou une épouse s’adonne à la prostitution, des exigences plus strictes s’imposent pour reconnaître qu’il s’agit d’une union stable. Pourtant, ce n’est pas le rôle de l’Etat que de porter un jugement moral sur le libre choix d’une profession et sur la façon dont un couple souhaite gérer sa vie privée et son entretien. Nous saluons donc le TAF d’avoir cassé la décision de l’ODM et espérons que la notion de « communauté conjugale » sera adaptée à une nouvelle réalité – celle dans laquelle l’aspect de la fidélité sexuelle ne peut être l’argument principal pour nier l’existence d’une relation stable.

Loulayane Pizurki-Awad, Collaboratrice scientifique, Université de Neuchâtel
Stefanie Kurt, PostDoc, nccr – on the move, Université de Neuchâtel

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