Régularisation des sans-papiers : quelques éléments de mise en perspective de l’Opération Papyrus

30.03.2017 , in ((Experiences)) , ((Pas de commentaires))

Le 21 février 2017, le canton de Genève a rendu publique une opération ambitieuse visant à régulariser un nombre important de personnes résidant actuellement en situation irrégulière dans le canton. Par cette mesure, le canton cherche à « reprendre le contrôle » dans la lutte contre la sous-enchère salariale et le travail au noir. Au-delà de la première impression forcément positive que suscite une telle annonce, une mise en perspective peut s’avérer intéressante voire nécessaire.

L’Opération Papyrus

L’Opération Papyrus, ses conditions et ses mesures d’accompagnement ayant déjà largement été développées par Lucia Della Torre dans son billet sur ce blog, je renvoie à celui-ci pour ces considérations. Je me concentrerai dans ce billet sur une comparaison entre le mécanisme du cas de rigueur prévu par le droit fédéral et le système mis en place dans le cadre de l’Opération Papyrus.

Le mécanisme suisse de régularisation

La loi fédérale sur les étrangers et la loi sur l’asile prévoient toutes deux un mécanisme de régularisation des personnes en séjour irrégulier. Ces deux lois font référence aux notions de « cas individuels d’une extrême gravité » (art. 30 al. 1 let. b LEtr), respectivement de « cas de rigueur grave » (art. 14 al. 2 LAsi), considérées par la pratique comme des synonymes. Ces notions (on parlera ci-dessous de cas de rigueur), sont centrales puisque la régularisation n’est possible que lorsque la situation du requérant ou de la requérante peut être considérée comme remplissant les critères du cas de rigueur. Ces critères, justement, sont listés (de manière non-exhaustive) à l’article 31 de l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA). Pour synthétiser, un cas de rigueur peut être reconnu lorsque l’intégration – sociale et économique – de la personne est particulièrement bonne.

Le mécanisme suisse de régularisation se caractérise par une procédure à deux niveaux : la demande de régularisation – pas d’automatisme donc – doit être déposée auprès de l’autorité cantonale du canton de domicile, celui-ci, s’il donne un préavis positif, transmet ensuite le dossier au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) qui se prononce à son tour et octroie – ou non – son approbation. Il s’agit donc d’une décision prise au cas par cas par des autorités administratives.

Papyrus : Intéressant, positif ! Idéal ?

De prime abord, cette opération de régularisation à grande échelle paraît être une excellente chose pour toutes les personnes vivant en Suisse depuis longtemps mais ne disposant pas de statut régulier. D’autant plus, s’agissant du canton de Genève qui est depuis de nombreuses années l’un des cantons les plus actifs dans le domaine et également l’un des plus concernés par la question des personnes sans statut légal puisque entre 13’000 et 15’000 des personnes sans-papiers vivant en Suisse s’y trouvent. Au-delà de cette première impression, plusieurs remarques peuvent être faites en vue d’offrir une vision plus large sur l’Opération Papyrus. Cette mise en perspective s’articule autour d’une comparaison entre le but originel de la régularisation telle qu’elle est prévue par la législation fédérale et le but de l’Opération Papyrus.

Lorsque l’on s’intéresse à ces buts, il apparaît rapidement qu’ils sont différents. En effet, d’une part, il ressort de manière très claire de la communication faite par le canton de Genève qu’au-delà de l’objectif d’amélioration de la situation des personnes en situation irrégulière le réel objectif est, pour le canton, d’assumer « ses responsabilités en matière de lutte contre la sous-enchère salariale et le travail au noir et son devoir de protection des personnes en situation irrégulière particulièrement exposées à toutes formes d’abus ». D’autre part, les dispositions du droit fédéral font référence à la notion de « cas individuels d’une extrême gravité » ou celle de « cas de rigueur grave ». Le but est donc ici avant tout humanitaire, cela ressort encore plus clairement lorsque l’on s’intéresse aux critères prévus à l’art. 31 OASA pour la reconnaissance du cas de rigueur. Il y est notamment question d’intégration particulièrement poussée, de longue durée de séjour en Suisse, d’atteinte sérieuse à la santé ou encore de difficultés de réintégration en cas de retour dans le pays de provenance.

Ce caractère avant tout économique se reflète de deux manières dans les conditions retenues pour la régularisation dans le cadre du programme genevois. Tout d’abord, l’Opération Papyrus exclut de manière explicite les personnes issues du domaine de l’asile et ce alors même que la régularisation prévue par le droit fédéral leur est également destinée. C’est donc toute une partie de la population en situation irrégulière qui est exclue de cette régularisation facilitée – probablement en raison du fait que les requérant·e·s d’asile débouté·e·s exercent moins souvent une activité lucrative dans les domaines majoritairement concernés par le problème du travail au noir que sont l’économie domestique et l’hôtellerie-restauration. Ce caractère économique est reconnaissable également au choix des conditions de la régularisation « facilitée » de Papyrus. En effet, ces quatre critères s’axent sur l’intégration (économique) de la personne au détriment du côté humanitaire de la régularisation, représenté dans l’OASA par des critères tels que l’état de santé ou les possibilités de réintégration dans le pays d’origine.

Les limites au champ d’application de l’Opération Papyrus font que celle-ci s’éloigne quelque peu du but humanitaire originel de la réglementation fédérale. Toutefois, il n’en reste pas moins qu’elle respecte le cadre légal fédéral dans la mesure où celui-ci offre aux autorités compétentes une large marge de manœuvre et préconise un examen tenant compte de « l’ensemble des circonstances ». De plus, cet éloignement du but n’est pas problématique en théorie dans la mesure où si Papyrus facilite la régularisation d’une certaine catégorie de personnes, elle ne rend pas impossible la régularisation des autres personnes – en particulier de celles issues du domaine de l’asile. La réalité du maintien de la régularisation « standard » devra encore être assurée en pratique, dans la mesure où il est probable que la priorité sera mise sur les cas relevant de l’Opération Papyrus.

Didier Leyvraz
Assistant et doctorant en droit des migrations, Université de Neuchâtel

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