Une islamisation de la Suisse avec l’arrivée des réfugié·e·s ?

05.09.2017 , in ((Politics)) , ((No Comments))

Dans le débat public, il est commun d’entendre que le nombre de musulman·e·s vivant en Suisse augmente fortement avec l’arrivée des réfugié·e·s. Dans les faits, ce discours surestime considérablement la proportion de musulman·e·s parmi les requérant·e·s d’asile, la part de l’asile par rapport à l’immigration totale et la proportion de musulman·e·s dans la population.

Ces dernières années, un discours s’est immiscé dans le débat public suisse en répandant l’idée que le nombre de musulman·e·s vivant en Suisse est en croissance exponentielle et qu’il est voué à augmenter fortement en raison de l’arrivée de réfugié·e·s en provenance de pays à majorité musulmane. Ce discours trouve un terreau fertile dans les représentations d’une partie de l’opinion publique qui tend à surestimer à la fois la proportion de musulman·e·s parmi les requérant·e·s d’asile, la part de l’asile par rapport à l’immigration totale, et la proportion de musulman·e·s dans la population, selon une tendance observée dans de nombreux pays d’immigration. Cette contribution montre, statistiques à l’appui, la faiblesse empirique de ce discours, puis elle formule un commentaire critique sur les termes du débat qu’il impose.

Pour rejeter une première idée reçue, nos calculs sur les données fournies par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) indiquent que seulement la moitié des personnes relevant actuellement du domaine de l’asile sont originaires de pays à majorité musulmane (49 % d’un ensemble regroupant les réfugié·e·s avec un permis B, les personnes admises provisoirement et celles en cours de procédure).

Deuxièmement, l’arrivée de personnes originaires de pays à majorité musulmane par la voie de l’asile ne contribue pas à faire progresser significativement la présence de l’islam sur le territoire suisse pour une raison simple qu’il est toujours utile de rappeler: l’asile ne représente qu’une portion minime de l’immigration effective et durable en Suisse (environ 5 % selon les données fournies par le SEM). La part de l’immigration provenant de pays musulmans avait été importante durant les années 1980 et 1990 avec l’arrivée de nombreuses personnes en provenance des Balkans et de Turquie par différentes voies migratoires (immigration de main-d’œuvre, regroupement familial et asile). Mais aujourd’hui, elle est clairement minoritaire – notamment parce qu’elle est principalement issue du domaine de l’asile – et représente environ un dixième du solde migratoire (11,6 % en 2015).

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la part de la population de confession musulmane en Suisse soit restée relativement stable depuis le début des années 2000 pour s’établir aujourd’hui autour de 4,9 %. Pour l’avenir, des projections tablent sur une proportion de 7,6 % de la population totale en 2050 compte tenu de l’immigration et de l’accroissement naturel. La perspective d’une « islamisation » de la Suisse en raison de l’arrivée de réfugié·e·s ne résiste donc pas à une analyse fondée sur des critères scientifiques.

Bien que nécessaire, la réponse statistique ne suffit pas à éviter les pièges tendus par le discours de l’islamisation, qui nous force à y répondre en regroupant un ensemble hétéroclite de personnes sous une catégorie « musulmans » et à admettre l’idée que leur présence sur le territoire suisse constitue un problème. Deux mythes qui restent encore à déconstruire dans une prochaine contribution à cette rubrique.

Robin Stünzi
doctorant au Centre de droit des migrations et collaborateur scientifique au Forum suisse pour l’étude des migrations à l’Université de Neuchâtel

 

À l’origine, ce billet a été publié le 24 mai 2017 sur le blog Des faits plutôt que des mythes. Les débats publics sur l’asile et la migration sont souvent empreints de mythes et d’opinions, sans que soit prise en considération la réalité des faits. En collaboration avec le Réseau suisse de jeunes chercheurs et chercheuses en études des migrations, l’OSAR souhaite questionner ces mythes et alimenter ainsi objectivement le débat.

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