Une naturalisation facilitée ?

31.01.2017 , in ((Naturalization, Politique)) , ((Pas de commentaires))
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Le 12 février, le peuple suisse vote sur l’introduction de la naturalisation facilitée pour les jeunes de la 3ème génération qui vivent en Suisse. Dans la pratique, qui aura accès à cette nouvelle forme de naturalisation ? Et comment la naturalisation de jeunes étrangères et étrangers sera-elle effectivement facilitée ?

Les conditions préalables de la naturalisation facilitée

Si le peuple et les cantons acceptent la révision de l’Art. 38 de la Constitution fédérale, les étrangères et étrangers de la 3ème génération pourront se faire naturaliser de manière facilitée dans toute la Suisse. L’Art. 24a de la Loi sur la nationalité définit comme appartenant à la 3ème génération les jeunes gens qui sont nés en Suisse, y sont allés à l’école et dont les parents et grands-parents ont vécu en Suisse. Au-delà de ces conditions formelles et comme dans la naturalisation ordinaire, il est vérifié que les jeunes concernés sont « intégrés ». Bien que ces personnes aient grandi en Suisse, leur intégration est évaluée selon les mêmes critères que lors d’une naturalisation ordinaire (Art. 26 LN, resp. Art. 12 nLN). La naturalisation facilitée pour les étrangères et étrangers de la 3ème génération – des jeunes gens dont le pays d’attache est la Suisse – est encore liée à des conditions strictes.

Logique d’accès à la procédure facilitée

Actuellement, certaines catégories de personnes peuvent déjà bénéficier d’une naturalisation facilitée. Il s’agit principalement des conjoint⋅e⋅s de Suisses et de Suissesses. La Suisse ayant une conception de la nationalité fortement attachée au droit du sang, le couple et la famille sont définis comme la base de la socialisation. Ainsi, l’entrée par mariage d’un étranger ou d’une étrangère dans une famille suisse est vue comme la garantie d’une adaptation plus rapide et plus efficace à un mode de vie et à des valeurs définies comme « suisses ». Les conjoint⋅e⋅s de Suisses et de Suissesses peuvent donc demander la naturalisation après 3 ans de mariage et 5 ans de résidence, ce qui représente des conditions d’accès bien plus légères que pour le reste de la population étrangère.

Dans le cas de la 3ème génération, la logique est similaire : les années passées en Suisse par les parents et les grands-parents, ainsi que la fréquentation de l’école obligatoire sont posées comme garanties d’une bonne intégration. De plus, cette proposition a pour objectif de favoriser la participation de cette génération à la vie politique : ces jeunes doivent pouvoir prendre part aux décisions qui les concernent.

La procédure comme facilitation principale

Alors que les exigences concernant l’intégration correspondent aux critères de la procédure ordinaire, l’avantage essentiel de la naturalisation facilitée consiste en une procédure simplifiée. La confédération, plus exactement le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), est compétent pour traiter des naturalisations facilitées. Le SEM décide de l’octroi de la citoyenneté en prenant en compte les renseignements et préavis données par les cantons.

Afin de comprendre les spécificités de la procédure facilitée, comparons-la avec la procédure ordinaire, tout en précisant que cette dernière diffère considérablement d’un canton à l’autre. Prenons ici l’exemple d’une requérante dans le canton de Fribourg.

Schéma : procédure ordinaire dans le canton de Fribourg et procédure facilitée

schema_naturalisation

La procédure de naturalisation facilitée est ouverte par le dépôt de la demande auprès du SEM. La naturalisation facilitée n’est donc pas accordée automatiquement, mais seulement sur demande. Avec la demande, la requérante doit remettre tous les documents qui prouvent ou rendent plausible que les critères formels sont remplis. Après avoir procédé à un examen formel, le SEM requiert auprès du canton des informations sur l’intégration de la requérante.

Dans le cas de Fribourg, le service cantonal en charge des naturalisations (SAINEC) effectue une enquête approfondie sur la requérante. Le SAINEC vérifie d’une part sa situation en consultant entre autres les impôts, le registre des poursuites, le casier judiciaire et le service social. D’autre part, il auditionne longuement la candidate qui expose ses motivations à devenir suisse et raconte en détail son parcours de vie, sa trajectoire professionnelle ainsi que sa manière de vivre au quotidien. La candidate est également questionnée sur ses connaissances de l’actualité, des institutions et des coutumes suisses et fribourgeoises. Sur la base du dossier constitué par le SAINEC ainsi que son préavis, le SEM examine les conditions matérielles et décide de l’octroi de la naturalisation.

La procédure ordinaire telle que définie par le droit cantonal (LCDF), par contre, comporte bien plus d’étapes. Après le dépôt de la demande au canton, la même enquête approfondie est effectuée par le SAINEC. Néanmoins, le dossier part ensuite à la commune qui procède à une nouvelle enquête, à une nouvelle audition, puis décide de l’octroi du droit de cité communal. Le SEM délivre ensuite l’autorisation fédérale de naturalisation. Enfin, le dossier revient au canton et le parlement octroie le droit de cité cantonal après une troisième audition devant la commission cantonale des naturalisations. Dans la pratique, cette dernière audition est facultative pour les candidat⋅e⋅s de la 2ème génération. Seules les personnes dont le dossier est jugé problématique sont convoquées pour une audition. Avec donc plus de 12 étapes et une durée minimale de 18 à 24 mois la naturalisation ordinaire est une procédure longue et coûteuse.

Comme la décision est de la compétence du SEM, la nouvelle procédure facilitée serait plus rapide et meilleur marché que la procédure ordinaire. Pour les candidats à la naturalisation, elle comprend aussi l’avantage que les conditions d’accès sont les mêmes dans toute la Suisse, ce qui rend la procédure plus transparente. On évitera ainsi l’exclusion pendant plusieurs années d’une personne ayant changé de canton. C’est finalement la procédure qui constitue la différence principale entre la naturalisation ordinaire et la naturalisation facilitée.

Une réelle facilitation ? Plutôt une reconnaissance politique

Les conditions d’accès à la naturalisation facilitée pour les personnes de la 3ème génération sont strictes. Les personnes qui remplissent ces conditions rempliraient aussi toutes celles de la naturalisation ordinaire. La naturalisation facilitée n’est facilitée que dans la mesure où elle implique une procédure plus légère, plus rapide, plus transparente et meilleur marché. Étant donné que les personnes de la 3ème génération sont des enfants suisses, un accès facilité à la citoyenneté est un pas important vers l’égalité de traitement des personnes ayant des origines étrangères. Offrir une procédure facilitée à ladite 3ème génération est surtout lui transmettre le message qu’elle a sa place en Suisse et qu’elle a son mot à dire dans les décisions politiques qui la concerne.

Anne Kristol
Doctorante, nccr – on the move, Université de Neuchâtel

Barbara von Rütte,
Doktorandin, nccr – on the move, Universität Bern

 

Environ 25% des personnes majeures qui vivent en Suisse n’ont pas le droit de prendre part aux décisions politiques au niveau fédéral parce qu’elles ne sont pas naturalisées et, par conséquent, ne possèdent pas le passeport suisse. Préalablement au vote sur la naturalisation facilitée des personnes étrangères de la troisième génération, prévu le 12 février 2017, le « nccr – on the move » publie une série de billets de blog présentant des données et des faits sur la naturalisation en Suisse.

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