La discrimination à l’embauche des Suisses d’origine camerounaise

10.10.2019 , in ((Visible Minorities)) , ((Pas de commentaires))

Les citoyen·ne·s suisses d’origine camerounaise se heurtent à la discrimination sur le marché du travail : ils·elles doivent envoyer 30 % plus de dossiers de candidatures que leurs homologues d’origine suisse afin d’être convoqué·e·s à un entretien d’embauche pour un poste de travail de niveau apprentissage (vendeur·euse·s et électriciens). Tels sont les résultats de la première expérience à s’être penchée sur la discrimination à l’égard de personnes afro-descendantes sur le marché du travail suisse.

La discrimination de personnes afro-descendantes sur le marché du travail suisse : une question ignorée

Depuis les années 1960, des études semi-expérimentales révèlent des inégalités d’accès au marché du travail basées sur l’origine immigrée des candidat·e·s (Zschirnt 2016), ébranlant ainsi le mythe de sociétés occidentales fondées sur le seul principe méritocratique. En Suisse, une recherche récente sur la discrimination à l’embauche, menée au sein du nccr – on the move (Zschirnt et Fibbi 2019), dévoile des différences significatives dans les chances de citoyen·ne·s suisses d’obtenir un entretien d’embauche selon le pays d’origine de leurs parents. Le dernier volet de cette étude se penche sur la situation des jeunes Suisses descendant·e·s d’immigré·e·s camerounais·e·s, soulevant de ce fait la question ignorée du racisme anti-noirs dans la société suisse.

On obtient la mesure du traitement inégalitaire en menant une expérience consistant à répondre à des offres publiques d’emploi par l’envoi de deux candidatures fictives. Les candidat·e·s présentent des qualifications identiques, possèdent la nationalité suisse, mais diffèrent uniquement quant à leur origine. Celle-ci est signalée dans les dossiers de candidature des enfants d’immigré·e·s camerounais·e·s par la consonance de leur patronyme, leur double nationalité et la mention de deux langues principales. L’analyse mesure la discrimination en comparant le traitement des candidatures. Concrètement on observe si ces candidats sont invités à un entretien d’embauche et on calcule l’écart entre le nombre de dossiers que les candidat·e·s d’origine camerounaise doivent envoyer pour être convoqué·e·s à un entretien au nombre de dossiers envoyés par leurs congénères d’origine suisse.

La discrimination des Suisses d’origine camerounaise et ses variables

Notre étude révèle l’existence et l’ampleur d’une discrimination à l’égard des citoyen·ne·s suisses descendant·e·s d’immigré·e·s camerounais·e·s dans les secteurs testés. Pour ces jeunes, le taux de discrimination s’élève à 1.30, ce qui signifie qu’ils·elles doivent envoyer 30 % plus de dossiers de candidature que leurs homologues d’origine suisse afin d’être convoqué·e·s à un entretien d’embauche. Ce traitement discriminatoire diffère selon une série de variables que notre recherche permet de saisir.

Ainsi, la discrimination à l’embauche est plus fréquente dans le secteur de la vente que dans le secteur de l’électricité (1.44 contre 1.23), où les contacts avec les client·e·s sont un élément constitutif du métier. Ce résultat tend à valider la théorie de la « préférence pour la discrimination », qui explique les comportements discriminatoires des employeur·euse·s par leur préférence à embaucher une personne d’une origine spécifique et anticipent une prédisposition similaire chez leurs client·e·s.

D’autre part, les inégalités de traitement sont nettement supérieures dans les zones rurales par rapport aux zones urbaines (1.56 contre 1.16), mais à peu près identiques dans les deux régions linguistiques (1.27 en Suisse romande et 1.33 en Suisse alémanique). En cela, nos résultats nourrissent le débat autour de l’importance relative des deux divisions qui structurent les attitudes à l’égard de l’immigration en Suisse en montrant que le clivage ville-campagne constitue une clé de lecture plus adaptée que le « Röstigraben » pour expliquer les traitements de type discriminatoire à l’égard des citoyen·ne·s suisses d’origine camerounaise.

La discrimination des Suisses d’origine camerounaise dans une perspective comparative

En comparaison avec des candidat·e·s suisses originaires de trois autres pays, les descendant·e·s d’immigré·e·s camerounais·e·s apparaissent comme le deuxième groupe le plus discriminé, derrière les candidat·e·s originaires du Kosovo (taux de discrimination de 1.44). Si la conception de notre étude ne permet pas d’expliquer la formation d’une telle hiérarchie, le rôle du débat politique et médiatique au sujet de différentes minorités visibles présentes en Suisse peut fournir une piste d’interprétation. Ainsi, les représentations négatives véhiculées au sujet des populations originaires du Cameroun (et plus généralement d’Afrique subsaharienne) n’ont sans doute pas atteint l’intensité du discours stigmatisant les personnes originaires du Kosovo (et plus généralement des Balkans) qui imprègne le débat public suisse depuis les années 1990 (Wyssmüller 2005).

Cette spécificité du débat politique et médiatique suisse invite à mettre notre étude dans une perspective internationale, grâce aux données compilées par Quillian et al. (2019 : 480) sur la discrimination à l’embauche de personnes afro-descendantes dans différents États de l’OCDE. Les inégalités de traitement révélées par notre étude sont supérieures à celles observées en Belgique et en Hollande ; elles sont plus proches du cas américain où la discrimination des populations noires est une réalité bien documentée et fortement médiatisée. Elles sont en revanche inférieures à celles documentées dans les cas britannique, canadien et surtout français, où elles atteignent des sommets.


Source : Quillian et al. 2019 / Zschirnt et Fibbi 2019

Cette comparaison doit être interprétée avec prudence, compte tenu du nombre limité d’observations et de secteurs testés dans le cas suisse par rapport à l’ampleur de la méta-analyse de Quillian et al., fondée sur de nombreuses études couvrant différents domaines d’occupation dans chaque pays. Elle suggère toutefois qu’il n’existe pas d’exception suisse en la matière, et que le passé colonial des États concernés ne constitue pas une clé de lecture pertinente pour expliquer cette forme particulière de racisme anti-noirs.

Une inégalité de traitement fondée sur la race

Nos résultats mettent en évidence une réalité inavouée dans une société d’immigration telle que la suisse : des inégalités de traitement affectent les jeunes issu·e·s de l’immigration camerounaise sur le marché du travail, alors qu’ils·elles sont détenteurs·trices du même passeport et des mêmes qualifications (linguistiques, scolaires et professionnelles) que leurs contemporain·e·s d’origine suisse. Leur accès à un emploi se trouve freiné par un traitement discriminatoire directement imputable aux stéréotypes négatifs associés à l’origine de leurs parents.

Ces stéréotypes sont fondés sur la race, un terme devenu tabou dans les sociétés européennes après les atrocités commises en son nom durant la Seconde Guerre mondiale et discrédité par l’ensemble de la communauté scientifique qui s’accorde à dire que les races en tant que telles n’existent pas. Cependant, la race en tant que système de classification et processus structurel de domination « est encore devant nous » (Balibar 2007 : 171), en Suisse comme dans d’autres sociétés d’immigration. Cette étude fait la lumière sur l’une de ses manifestations et invite l’ensemble de la société à en débattre.

Dr. Robin Stünzi, collaborateur scientifique au Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population à l’Université de Neuchâtel, a été research associate au sein du projet de recherche Discrimination as an obstacle to social cohesion dans le cadre du nccr – on the move.

Les résultats de l’ensemble du projet font l’objet d’une visualisation pouvant être consultée ici.

Références :

– Balibar, Étienne (2007). Le retour de la race. Mouvements 2: 162-171.
– Quillian, Lincoln, et al. (2019). « Do Some Countries Discriminate More than Others? Evidence from 97 Field Experiments of Racial Discrimination in Hiring. » Sociological Science 6: 467-496.
– Wyssmüller, Chantal (2005). Menschen « aus dem Balkan » in Schweizer Printmedien (Liz.). Universität Bern, Bern.
– Zschirnt, Eva (2016). Measuring Hiring Discrimination – A History of Field Experiments in Discrimination Research. nccr – on the move Working Paper #7 (May 2016).
– Zschirnt, Eva and Fibbi, Rosita (2019). Do Swiss Citizens of Immigrant Origin Face Hiring Discrimination in the Labour Market? nccr – on the move Working Paper #20 (February 2019).

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