Les médias jouent un rôle essentiel sur les réactions vis-à-vis de la politique migratoire de l’UDC

23.09.2020 , in ((Limitation initiative)) , ((No Comments))
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« Trop, c’est trop ! », « On est trop serré ! », « Voulez-vous être remplacé par un Européen bon marché ? » Voici des slogans en faveur de l’initiative de limitation de l’immigration, soumise à votation le 27 septembre prochain. Ces slogans peuvent interpeller et mener à penser qu’une immigration massive et incontrôlée amène plus de problèmes que de bénéfices à la Suisse, surtout en ces temps de crise sanitaire et d’incertitude économique. Nous avons cherché à mieux comprendre les réactions de la population suisse romande vis-à-vis de la droite radicale et de l’immigration, ainsi que le rôle des médias dans ce processus.

L’initiative de limitation est défendue par l’UDC. Ce parti prône une conception ethnique de l’identité suisse, des politiques restrictives sur l’immigration et hostiles envers l’islam. Cette idéologie est communément associée à la droite radicale, qui contrevient aux valeurs de solidarité et d’ouverture au monde. De plus, l’UDC utilise une communication qui fait appel à la menace. Ainsi, une partie importante de la population peut se sentir mal à l’aise vis-à-vis de ce parti. Cela dit, il serait exagéré de penser que cette gêne est partagée par tout·e·s. L’UDC est le parti le plus représenté au Conseil national ; il défend des valeurs et des intérêts avec lesquels s’identifie une part non négligeable de l’électorat suisse.

L’UDC suscite-t-il le malaise plus que d’autres partis?

Nous avons mené une étude pilote auprès de 247 personnes suisses romandes pour savoir si l’idée d’être associé à l’UDC suscite plus de malaise comparé à un parti centriste (le PDC) ou un parti de gauche radicale (solidaritéS). Les résultats montrent que l’embarras à l’idée d’être associé à l’UDC est plus élevé. Néanmoins, les personnes qui s’identifient à droite ne rapportent pas de gêne à l’idée d’être associées à l’UDC alors que celles qui s’identifient à gauche expriment un malaise élevé. Plus important, le malaise vis-à-vis de l’UDC est aussi présent chez les personnes qui s’identifient au centre gauche, au centre et au centre droit. Ces résultats préliminaires suggèrent que l’idée d’être associé à l’UDC, par rapport aux autres partis mentionnés, génère une gêne partagée par la majorité de l’électorat romand, à l’exception des personnes qui s’identifient clairement à droite.

On pourrait alors se demander si un parti de gauche radicale suscite une gêne similaire. Nos résultats révèlent qu’un malaise élevé à l’idée d’être associé à solidaritéS est seulement présent chez les personnes de droite ; celles de centre droit et du centre ont un malaise modéré; celles de centre gauche et de gauche n’en ont pas.

Ces graphiques illustrent le niveau moyen de malaise éprouvé à l’idée d’être associé aux idées de solidaritéS (à gauche) ou de l’UDC (à droite) en fonction de l’orientation politique.

Ainsi, les personnes s’identifiant à des partis dits modérés (centre gauche, centre et centre droit) semblent moins gênées à l’idée d’être associées à un parti de gauche radicale plutôt qu’à l’UDC. Cette différence peut être expliquée par le fait que sur le plan social (par exemple, en termes de politique migratoire), l’agenda politique de l’UDC s’oppose aux normes de tolérance et d’ouverture adoptées par la majorité de la population suisse romande, alors que solidaritéS milite pour les renforcer.

Pour en revenir à l’initiative de limitation de l’immigration, une bonne partie de ses opposant·e·s pensent que la politique migratoire actuelle apporte plus de bénéfices que de désavantages à la Suisse. Néanmoins, il est également possible que certain·e·s soient réticent·e·s à soutenir cette initiative non par conviction mais parce que cela impliquerait d’assumer une affinité avec un parti politique radical qui prône une vision explicitement intolérante vis-à-vis à l’immigration, ce qui susciterait un certain malaise. Par conséquent, si des propos restrictifs sur l’immigration cessent d’être associés à l’UDC, la gêne éprouvée à l’idée d’y adhérer pourrait diminuer. Autrement dit, une partie de la population pourrait soutenir cette initiative si elle n’était pas explicitement associée à l’UDC.

Afin de répondre à cette question, nous avons mené une étude auprès de 259 personnes suisses romandes qui ont lu un texte de campagne de l’UDC en faveur de l’initiative de limitation. Chez la moitié des personnes, le logo de l’UDC est associé au texte. Chez l’autre moitié, le texte est présenté sans le logo. Les résultats montrent que lorsque des propos négatifs sur l’immigration cessent d’être associés à l’UDC, le malaise à l’idée d’y adhérer diminue.

Les médias et l’immigration

La couverture médiatique de l’immigration peut expliquer ce résultat. Plusieurs études antérieures suggèrent que celle-ci donne dans l’ensemble un regard plutôt négatif sur l’immigration, ce qui tend à normaliser un discours ambivalent, ambigu et stéréotypé sur le sujet. Les médias privilégient les informations à sensation ; ils mettent l’accent sur des éléments de conflit et de controverse car cela capte davantage l’attention que des informations nuancées, approfondies et contextualisées. L’information médiatique sur l’immigration favorise en outre des représentations stéréotypées des personnes migrantes, par une association avec des thématiques comme l’illégalité, l’insécurité, l’incivilité, les accrocs culturels et le repli identitaire.

Ainsi, du moment qu’un message politique restrictif sur l’immigration n’est pas explicitement associé à l’UDC, y adhérer ne serait plus tellement embarrassant car les médias auraient tendance à normaliser un tel discours. A l’opposé, une couverture médiatique contre-stéréotypique et positive de l’immigration pourrait mener à éprouver plus de malaise à l’idée d’être associé à une position restrictive sur l’immigration, même si celle-ci n’est pas explicitement associée à l’UDC.

Pour vérifier cette possibilité, nous avons réalisé une étude dans laquelle 281 personnes suisses romandes ont lu un article de journal qui mettait l’accent sur des qualités civiques et exemplaires d’une personne migrante. Les participant·e·s ont ensuite indiqué leur niveau de malaise à l’issue de la lecture d’un texte en faveur de l’initiative de limitation de l’immigration. Chez la moitié des participants le logo de l’UDC était associé au texte; chez l’autre moitié, le texte était présenté sans le logo. Les résultats révèlent que les participants ressentent un malaise élevé à l’idée d’être associés à cette opinion restrictive sur l’immigration, même lorsque le texte ne porte pas le logo de l’UDC. En somme, une couverture médiatique positive et contre-stéréotypique de l’immigration peut réduire la normalisation d’un discours restrictif sur l’immigration, et rendre ce discours problématique aux yeux des personnes interrogées.

Ce graphique illustre le niveau moyen de malaise éprouvé à l’idée d’être associé à une opinion restrictive sur l’immigration, en fonction de son association à l’UDC (en bleu) ou non (en orange). À gauche, les personnes qui n’ont pas lu d’article positif sur l’immigration. À droite, celles qui ont lu un article positif sur l’immigration.

Conclusion

L’ensemble de ces études ont été menées sur une population romande ; elles ne peuvent pas être généralisées aux autres régions linguistiques suisses. Cela dit, les résultats suggèrent qu’un positionnement restrictif sur l’immigration suscite davantage de malaise dans la majorité de l’électorat romand lorsqu’il est explicitement associé à un parti de droite radicale que lorsqu’il ne l’est pas. Néanmoins, un tel positionnement, même s’il n’est pas associé explicitement à la droite radicale, suscite un certain malaise après avoir lu un article de journal qui met l’accent sur le comportement civique d’une personne migrante. Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que les représentations associées aux partis politiques aussi bien que la couverture médiatique jouent un rôle déterminant dans la formation du climat social vis-à-vis de l’immigration.

Matthieu Vétois est doctorant en psychologie sociale à l’Université de Genève. Juan M. Falomir-Pichastor est professeur de psychologie sociale à l’Université de Genève. Eva Green est professeure de psychologie sociale à l’Université de Lausanne. Les trois chercheurs travaillent dans le projet Societal Norms as Predictors of Behavior and Attitudes regarding Migration among National Majorities and Immigrants.

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